Dimanche 06 décembre 2015 à 20h45

J’AVANCERAI VERS TOI AVEC LES YEUX D'UN SOURD

Laeticia Carton
Laeticia Carton

Après avoir étudié à l'école des Beaux-Arts, Laetitia Carton découvre le documentaire de création et décide de se consacrer au cinéma. Elle réalise son premier court-métrage documentaire D'un chagrin j'ai fait un repos en 2006, pour lequel elle remporte un prix à Cuba.

Trois ans plus tard elle réalise un long-métrage pour la télévision et en 2015, sort enfin sur les écrans de cinéma Edmond, un portrait de Baudoin, un documentaire sur l'auteur de bande-dessinée (voir rubrique "ça s'est passé au cinéma" Dimanche 20 septembre 2015

Influencée par le cinéma de Johan Van der Keuken et d'Alain Cavalier (entre autres !), elle recherche dans son cinéma à "garder une forme de liberté formelle, et d’expérimentation, de trouver d’autres manières de dire les choses formellement".


En parallèle au projet sur l'artiste Baudoin, "Edmond, un portrait de
Baudoin", elle réalise ce film  documentaire sur la communauté
Sourde et la langue des Signes.



Avec « J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd », Laetitia Carton, a fait exploser un cri de joie à Lussas, en faisant découvrir aux festivaliers le pays des sourds. Au point que l’équipe du festival s’est dit prête à examiner la possibilité d’une résidence d’écriture avec des réalisateurs sourds, dès 2016. Car il y en a, mais qui le sait ? Les sourds se mobilisent aussi, ne sont pas dans la plainte. Sur place, durant le festival, ils n’ont pas hésité à rencontrer l’équipe qui est en train de monter la plateforme de documentaires de création sur abonnement. Il faut  sous-titrer les films, et on vous donne les contacts pour trouver l’argent…

J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd est le récit de quinze ans de militance et de complicité avec des amis sourds, en forme de lettre envoyée à un ami sourd qui s’est donné la mort. La cinéaste n’emploie jamais le mot « malentendant », synonyme de handicap. « Les personnes sourdes ne sont pas des handicapées. Ils sont comme nous, ils ont leur vie, et surtout ils ont cette langue des signes dans laquelle ils se sentent bien. Le problème, c’est qu’ils sont invisibles aux yeux de la société qui les néglige. Il est là, le scandale », résume-t-elle. Laetitia Carton a réussi à transformer la colère qu’elle avait emmagasinée en un film poétique, subversif et « réjouissif » : cela donne même envie d’inventer un mot, puisqu’il est question de langage… Le spectateur suit le parcours de différents groupes : une famille, parents sourds et enfants sourds, qui, après des galères, finit par découvrir une oasis, l’école de Ramonville, toute proche de Toulouse, dotée du personnel nécessaire et compétent pour acceuillir des élèves sourds, ou pas d’ailleurs.

Il y a aussi ces marcheurs du silence qui parcourent des centaines de kilomètres dans l’espoir que les médias – aie, aie, aie… – finiront bien un jour par s’intéresser à eux. Le film dénonce ceux qui, dans le corps médical, estiment qu’il faut appareiller les sourds, afin qu’ils entendent comme les gens normaux. Mais c’est qui, les gens normaux, interroge le film ? La langue des signes apparaît comme une chorégraphie, un langage du corps. La jeune cinéaste l’a apprise, et signe à l’écran pour tendre une passerelle entre les deux mondes. Le verbe « signer » a pris un autre sens pour beaucoup de spectateurs. La scène finale, en présence de la chanteuse Camille, atteint des sommets de grâce chorale. Disons juste qu’elle nous donne envie d’un dernier jeu de mot : « I am signing in the rain ! »


Clarisse Fabre (Lussas (Ardèche))
Reporter culture et cinéma